1jour1actu : C’est quoi, un éléphant de mer ?
Nicolas Mathevon : C’est un énorme phoque, un mammifère, comme nous. Un mâle pèse environ 2 tonnes, soit 2 000 kilos… c’est le poids d’une camionnette ! Les éléphants de mer que nous étudions vivent dans l’océan Pacifique nord, au sud de l’Alaska, une grande partie de l’année. Mais pendant la période de reproduction, vers fin janvier-début février, les mâles retrouvent les femelles, plus au sud, en Californie, sur une plage de la baie de Monterey, où elles sont installées avec leurs petits dans une colonie.
Qu’étudiez-vous chez ces animaux ?
Nicolas Mathevon : Avec mes collègues, Isabelle, en France, et Caroline et Colleen, aux États-Unis, nous étudions la façon dont les mâles se reconnaissent entre eux. Dans une colonie, il y a une centaine de femelles mais seulement quelques dizaines de mâles. Une compétition se met en place entre ces derniers pour déterminer qui va s’accoupler avec les femelles. On observe des combats violents, pouvant parfois aller jusqu’à la mort de l’un des combattants. Heureusement, c’est assez rare, car souvent l’un des deux abandonne après un échange de cris, des « clac » graves.
Des « clac » ?
Nicolas Mathevon : Une suite de « clac-clac-clac… ». Cela permet aux mâles de s’identifier les uns par rapport aux autres et, ainsi, d’établir une hiérarchie entre eux. Les dominants, qui contrôlent l’espace sur la plage, interdisent aux autres mâles, les dominés, moins agressifs, d’approcher des femelles.
Quelle est la particularité de cette reconnaissance sonore chez les éléphants de mer ?
Nicolas Mathevon : En principe, la reconnaissance sonore s’effectue par le timbre, la « couleur » d’une voix, plus grave ou moins aiguë. Chez les éléphants de mer, le rythme des « clac » est différent d’un individu à l’autre. Par contre, il est très stable dans la durée, c’est-à-dire qu’il ne change pas au fil du temps. Ainsi, un mâle mémorise l’empreinte vocale des autres mâles pendant plusieurs années. Nous l’avons constaté lorsqu’un dominant est réapparu dans la colonie après plusieurs années d’absence… il a été tout de suite reconnu : les autres mâles se sont écartés pour lui laisser la place. Il existe donc chez les éléphants de mer mâles une mémoire des autres basée sur l’acoustique.
Comment avez-vous mis cette capacité en évidence ?
Nicolas Mathevon : Nous avons enregistré la voix d’un dominant connu et bien identifié. Puis nous avons changé le rythme de sa voix. Lorsque nous avons diffusé depuis un haut-parleur ce son modifié à un dominé, celui-ci ne l’a pas reconnu et il ne s’est pas enfui. Par contre, quand on a diffusé les « clac » à leur rythme naturel, le mâle dominé s’est enfui dans la direction opposée du haut-parleur. Le dominé a alors bien reconnu le dominant !
Propos recueillis par Myriam Martelle