1jour1actu : On dit souvent que les foules sont incontrôlables, car les individus sont plus agressifs quand ils sont en groupe. Est-ce cela qui s’est passé à La Mecque ?
Mehdi Moussaïd : Non pas du tout. Les foules ne sont ni folles ni agressives. Il y a parfois des drames lors de grands rassemblements dans les stades, les meetings politiques ou les rassemblements religieux, mais les participants n’y sont pour rien. En fait, ce qui se passe les dépasse complètement.
1jour1jour : La faute à qui, alors ?
Mehdi Moussaïd : C’est un problème de densité, c’est-à-dire du nombre de personnes sur un espace donné. Plus il y a de personnes dans un endroit donné, plus il y a des mouvements de foule, des bousculades, et plus les accidents risquent de se multiplier.
1jour1jour : Avez-vous établi des barèmes ?
Mehdi Moussaïd : Au quotidien, nous sommes le plus souvent moins de une personne au mètre carré (un carré de 1 mètre de côté). À la sortie d’un concert ou dans le métro, on est environ trois personnes au mètre carré. Il n’y a aucun risque, mais c’est inconfortable, et on doit marcher doucement. Lors d’événements exceptionnels, comme cela se produit chaque année à La Mecque, la densité atteint 5 à 6 personnes par mètre carré ! Et là, c’est extrêmement dangereux.
1jour1jour : Pourquoi ?
Mehdi Moussaïd : Parce qu’à 5 ou 6 au mètre carré, les gens commencent à se toucher, et en se touchant, ils propagent une somme de petites forces qui vont s’additionner, et même se multiplier. Mon voisin pousse mon voisin qui pousse à son tour son voisin, et ainsi de suite. Ces petites poussées, mises bout à bout, sont comme des vagues qui grossissent et donnent finalement naissance à une énorme bousculade.
1jour1actu : C’est donc très mécanique…
Mehdi Moussaïd : Absolument. Avec une telle densité, vous pouvez mettre les personnes les plus calmes du monde, il se produira le même phénomène. C’est de la science physique.
1jour1actu : Concrètement, que se passe-t-il au moment de la bousculade ?
Mehdi Moussaïd : La foule se serre, se desserre, se resserre, comme un accordéon. Les gens ont du mal à respirer et sont compressés. Cela peut faire très mal et peut même tuer par asphyxie. Et si, par malheur, quelqu’un tombe, il meurt piétiné.
1jour1actu : Et personne n’essaie de le ramasser ?
Mehdi Moussaïd : C’est impossible. La foule ne peut pas s’arrêter : c’est comme les vagues sur la mer. La force qu’elle développe la dépasse complètement.
1jour1actu : Il n’y a donc rien à faire pour éviter de tels drames ?
Mehdi Moussaïd : Si, il faut interdire une telle concentration de personnes. Il faut faire circuler les gens par petits groupes, élargir les rues, interdire les circulations à double sens… Sans ces mesures de sécurité, le drame est presque inévitable.
1jour1actu : Lors de vos travaux, vous avez été amené à observer les colonies de fourmis, c’est bien cela ?
Mehdi Moussaïd : Oui, j’ai beaucoup observé les mouvements collectifs, comme les fourmis dans une fourmilière, les poissons dans un banc de poissons et même les billes dans un jeu de billes. Même constat à chaque fois : quand il y a trop d’éléments dans un trop petit espace, il se produit des frottements, et ces frottements provoquent des mouvements chaotiques inévitables, qui peuvent être dramatiques.